Le "chaos" est la propriété qui caractérise un
système dynamique dont le comportement dans l'espace des phases
dépend de manière extrêmement sensible des conditions
initiales.
Un mur de certitudes s'est effondré à la fin du siècle : la science
émergente du chaos est venue éliminer la certitude newtonienne et
laplacienne d'un déterminisme absolu de la nature. Avant l'avènement de la
théorie du chaos, le maître mot était "ordre". Tout le monde pensait que la
Nature devait se comporter de manière régulière.
Le déterminisme :
Laplace pensait en effet que si, à un moment donné, quelqu'un connaissait
l'état exact et complet de l'univers, il lui était possible de connaître à
la fois le passé et le futur. Cette théorie, appelée le déterminisme,
part du principe que tout ce qui compose l'univers est réglé minutieusement,
qu'il n'y a aucune place pour le hasard. Cette théorie a été battue en
brèche. En effet, par exemple, la Lune ne se plie pas aux lois de Newton. De
même, si quelqu'un avait la possibilité de tout connaître de l'univers à
un instant donné, la quantité d'informations serait telle qu'il ne verrait et
n'entendrait rien.
Le chaos supplante le déterminisme :
Cette théorie a trouvé un écho important auprès du public car elle
décloisonne les disciplines, elle fait l'apologie de la libre volonté. Cette
science est dite "holistique" car elle considère le monde comme une
globalité. Un des pionniers de cette science fut le mathématicien français Henri
Poincaré (1942-1912).
Malgré tout, cette science n'a connu son essor que dans les années 70, et ce
grâce à l'avènement de l'ordinateur. C'est en effet grâce à ce dernier que
l'on a pu étudier des systèmes chaotiques.
Le chaos, dans l'esprit du scientifique, ne signifie pas "absence d'ordre", il
se rattache plutôt à une notion d'imprévisibilité, d'impossibilité de prévoir
à long terme. De petites différences dans les conditions initiales peuvent en
engendrer de très grandes dans les phénomènes finaux. Dès lors, la
prédiction devient impossible.
Le célèbre "effet papillon" :
Compte tenu de la faible puissance des ordinateurs, au début des années 60,
il était impossible de reproduire l'atmosphère et les océans célestes. Aussi,
Eduard Lorenz (1917-), météorologue américain travaillant au célèbre MIT,
avait réussi à réduire la météorologie à sa plus simple expression en
décrivant les mouvements de l'air et de l'eau par de simples équations
puisque c'est l'interaction entre ces deux éléments qui fait la pluie et le
beau temps.
Or, un jour de 1961, Lorenz décide de refaire un calcul météo mais en
recommençant à mi-chemin. A sa grande surprise, les deux courbes ne se
superposaient qu'au début pour ensuite diverger totalement.
Ce n'était pas une défaillance de l'ordinateur mais bien la théorie du
chaos qui était entrée en action. En effet, au lieu de rentrer le chiffre
0.145237 comme condition initiale, il avait rentré par paresse le nombre
arrondi, soit 0.145. A sa grande surprise, une différence de moins d'un
millième engendrait donc des différences très importantes sur le résultat final.
Les fractales :
Nous avons tous appris que certaines choses familières ont un nombre de
dimensions qui peut être exprimé par un nombre entier : la ligne droite a
une dimension de 1, nous évoluons dans un espace à 3 dimensions.
Or, depuis les années 70, nous savons qu'il existe une catégorie d'objets
dont le nombre de dimensions ne peut être exprimé que sous forme de
fraction. Benoît Mandelbrot (né en 1924), mathématicien franco-américain
qui les a découvert, les a qualifié de "fractales". Contrairement à ce que
l'on pourrait penser, ces objets sont très présents dans nos vies quotidiennes
(flocons de neige, nuages...). Tous ces objets ont des formes irrégulières
non répertoriées par la géométrie euclidienne. Et, de plus,
l'irrégularité qui les caractérise se répète à toutes les échelles. A
titre d'exemple, on peut parler d'une côte, en bord de mer.
Benoît Mandelbrot a en effet découvert que plus l'échelle de mesure diminue, plus la longueur mesurée pour la côte croît jusqu'à devenir infinie, ce qui va à l'encontre de notre bon sens. La géométrie euclidienne échoue quand elle a affaire a du non régulier. Or, c'est l'irrégulier qui caractérise une grande majorité des choses de la vie ! Un objet fractal est donc un objet dont la dimension n'est pas un nombre entier. Aussi, un objet dont la dimension peut être un nombre entier et qui possède une structure dont le même motif se répète à l'infini à toutes les échelles d'agrandissement.
La Nature aime les structures fractales. Aussi, les objets fractals ont
trouvé un champs d'application dans la géologie, dans la botanique, dans la
physiologie... Les structures fractales se retrouvent aussi dans le corps
humain. A titre d'exemple, la structure en ramification des vaisseaux
sanguins, de l'aorte aux capillaires, est de nature fractale. C'est la
meilleure solution que la Nature ait trouvé pour emmagasiner l'énorme
surface des vaisseaux sanguins à l'intérieur du volume limité du corps humain.
De la turbulence :
Le chaos intervient dans tout ce qui est fluide dans le monde qui nous
entoure. Par exemple, l'eau dessine des mouvements compliqués,
irréguliers et apparemment désordonnés. Ces mouvements turbulents sont appelées
mouvement chaotique par le scientifique. Sont également turbulents les
mouvements de l'air, les volutes de fumée.
Le chaos est omniprésent :
Le chaos est présent à la fois dans le monde macroscopique et dans le
monde microscopique. En 1984, deux chercheurs américains du MIT, Jack Wisdom
et Gérald Sussman mirent au point un ordinateur spécialement conçu
pour calculer les orbites planétaires. Grâce à lui, ils se
projetèrent 845 millions d'années dans le futur. Et là, ils se rendirent
compte que Pluton avait un comportement chaotique en ce qui concerne son
orbite. Mais quid des autres planètes ? Deviennent-elles chaotiques
beaucoup plus tard ?
Le français Jacques Laskar utilisa un ordinateur encore plus puissant et
entra une expression mathématique (longue de 150000 termes algébriques !)
concernant le comportement moyen des planètes. Il se transporta ensuite
jusqu'à 200 millions d'années dans le futur... et découvrit que le système
solaire tout entier est chaotique !
Pluton n'est donc pas l'exception mais la règle. Laskar constata par exemple
que la séparation entre deux trajectoires d'une planète quelconque avec
des conditions initiales différentes doublait tous les 3.5 millions
d'années. Ainsi, deux planètes imaginaires différant seulement de 100
mètres au départ se retrouveraient, au bout de 100 millions d'années, à
environ 40 millions de kilomètres.
Comme les mesures des trajectoires des planètes ne sont jamais parfaitement
précises, les trajectoires planétaires ont un passé indéfini et un futur
incertain.
De même, au niveau microscopique, nous retrouvons la théorie du chaos. Elle
a envahi le monde des atomes avec la mécanique quantique au début du
XXème siècle. Nous ne pouvons pas parler d'une trajectoire de l'électron :
nous ne pourrons jamais préciser à la fois sa position et sa vitesse.
L'électron est à la fois particule et onde : il ne suit pas sagement une seule
orbite autour du noyau d'atome mais il occupe tout l'espace vide de
l'atome.
Du chaos dans la vie quotidienne :
Le chaos est aussi présent dans nos vies. Des faits anodins ont ensuite
radicalement changé le cours de notre vie. Par exemple, un homme s'est levé
un peu plus tard parce que la sonnerie de son réveil ne s'est pas déclenchée,
il a raté son rendez-vous, perdu le job qui lui était destiné et se retrouve à
faire quelque chose de radicalement différent de ce qu'il avait prévu.
Souvent, les événements, les résultats escomptés sont différents de ce que
l'on attendait : c'est ce que l'on appelle souvent le "facteur X".
Le chaos a également envahi le flux et le reflux de la vie ! Le chaos a, en
effet, une incidence sur l'évolution des espèces. Pour étudier les évolutions
de populations, les scientifiques ont utilisé le concept malthusien dont
l'équation est : population (nouvelle) = (facteur de croissance) * population
(ancienne)
En incorporant dans le modèle des facteurs limitant la croissance,
on peut penser que la population, après des phases de croissance suivies de
périodes de décroissance, va atteindre rapidement un équilibre : soit
elle reste approximativement constante, soit elle fluctue selon une période
assez régulière.
Ceci est exact pour un taux de croissance modéré de la population (compris en
fait entre 1 et 3) : la population reste stable. Mais, quand on dépasse la
valeur 3, les choses se précipitent : l'équilibre est rompu et la
population oscille entre deux valeurs distinctes d'une année sur l'autre.
Si le taux est encore plus élevé, l'oscillation double devient quadruple.
Malgré ce comportement complexe, les mêmes valeurs reviennent
périodiquement. La régularité disparaît quand le taux de croissance dépasse
3.57 : le chaos prend alors le dessus.
En changeant certains paramètres à première vue mineurs, on obtient lors
des simulations par ordinateur des choses totalement imprévues.
Le chaos se retrouve aussi dans la Bourse. Le rêve de tout spéculateur
est de pouvoir prédire le futur. Les marchés financiers comportent des
mécanismes autorégulateurs basés sur un mélange de psychologie humaine, de
comportement social et de pensée rationnelle. L'existence de ces mécanismes
autorégulateurs a des implications importantes et surprenantes sur le
comportement des marchés, des prix et des économies, et peut entraîner le
chaos.
Conclusion sur la théorie du chaos :
Le chaos a donc investi l'économie, la biologie, l'écologie et la physiologie.
Mais il est bien plus présent quantitativement dans les sciences dites
"dures" (comme l'astrophysique...) que pour les sciences dites "molles". Il
y a plusieurs raisons à cette différence. Dans les systèmes "durs", les
approximations sont trop simplistes. De même, le propre des systèmes complexes
"adaptatifs" est qu'ils apprennent, se souviennent et s'adaptent. Par exemple,
en économie, la théorie des "anticipations adaptatives" de Milton Friedman
(Prix Nobel 1976) et la théorie des "anticipations rationnelles" de
Robert Lucas (Prix Nobel 1995) sont des exemples de systèmes complexes
adaptatifs.
Le chaos a donc donné de la liberté à la Nature : celle-ci peut donc exercer
sa créativité, trop longtemps ignorée, trop longtemps sous-estimée...