La Manipulation


Par Mad Mask



Il s'agit d'un résumé d'un petit bouquin que j'ai trouvé très sympa et qui est assez célèbre. J'ai fait ce résumé pour l'école, alors j'espère que ça peut vous servir... Son titre est Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens (par Jean-Léon BEAUVOIS et Robert-Vincent JOULE, aux éditions PUG, publié en 1987). Si je vous le mets dans le Toxic, c'est avant tout pour vous mettre en garde de la manipulation d'autrui. Si, ça existe !




Introduction


Un chercheur américain a observé que lorsqu'il demandait une pièce aux passants qu'il croisait dans la rue, il avait quatre fois plus (1/10 à 4/10) de réussite en précédant sa demande par une simple demande de renseignement. On rencontre dans la psychologie sociale un grand nombre de travaux similaires où les chercheurs amènent, en toute liberté, des gens à un comportement différent de celui qui aurait été spontanément le leur.


Le but de ce traité est de fournir les bases de compréhension des mécanismes de la manipulation. En ce sens, il est destiné à trois types de lecteurs :



Première partie - Manipulations non-intentionnelles
(chapitres 1 et 2)
Deux chapitres pour aider à voir la réalité de l'auto-manipulation


Expérience simple :


Une personne dans un lieu public s'absente momentanément en laissant un objet. Une autre personne arrive alors et prend l'objet. On constate avec surprise que, d'un cas de réaction sur dix, des personnes environnantes, on passe à huit ou neuf si le propriétaire a, ne serait-ce que rapidement, demandé de jeter un coup d'oeil à ses affaires. Résultats parfois obtenus avec les mêmes sujets.


Les psychologues essayent d'expliquer un tel comportement. La raison qui apparaît la plus évidente est que la personne a été engagée à réagir, mais elle ne satisfait pas complètement car les deux situations ne se différencient que par un simple "oui" à une question où il est difficile d'émettre un refus. L'une des hypothèses est que le sentiment de libre consentement, qu'elle ne pouvait refuser en réalité, l'engage à réagir.


Autre expérience : des volontaires sont mis face à un choix pour favoriser un projet parmi deux. Puis quelque temps après, on leur demanda de nouveau de faire ce choix mais en présentant la situation où leur précédant choix n'a pas porté ses fruits alors que l'autre a mieux réussi que prévu. La grande majorité va persévérer dans leur choix alors qu'un groupe de contrôle ne va pas hésiter à changer. Ce phénomène, appelé escalade d'engagement, commence par un choix libre de la victime qui évite ensuite inconsciemment les réflexions critiques sur son choix, persévérant dans son choix et refusant ses tors.


Il existe dans la vie quotidienne deux phénomènes, proche de ce dernier, qui provoquent souvent des ratés. Pour les éviter il suffit simplement de savoir les voir à temps.


Le premier est la dépense gâchée. Elle augmente l'effet de persévération directement en proportion du coût mis en oeuvre par la victime elle-même. Un exemple simple est la personne qui voudra voir jusqu'au bout un film décevant dont elle aura payé la place alors qu'elle serait sortie si elle l'avait obtenu gratuitement ou vu à la télévision.


Le deuxième est le piège abscons. Toujours sur le phénomène de persévération, il empêche la victime de remettre en cause son choix alors que de nouvelles possibilités se présentent. L'exemple est de persévérer dans le choix de prendre le dernier bus alors que des taxis se présentent.


Si les exemples cités semblent anodins et quotidiens on peut trouver des exemples de plus grande envergure. Tel que l'escalade de l'engagement des Etats-Unis dans la guerre du Viêt-Nam. Même si le phénomène d'escalade d'engagement ne doit pas suffire à expliquer cette situation, le fait qu'il ait fallu un nouveau président pour y mettre fin peut laisser perplexe.


Les manipulations que nous venons de présenter, même si elles sont généralement inconscientes et non intentionnelles, posent les bases des mécanismes de manipulations. En effet celles-ci ne reposent pas sur une activité persuasive mais sur les technologies comportementales et elles servent les stratégies décrites dans les chapitres suivants.


L'amorçage


Selon l'idéologie ambiante, l'activité de décision est noble et les faibles gens sont incapables de décider et de tenir leurs engagements. Malheureusement les gens ont trop tendance à assumer leurs engagements.


La technique consiste principalement sur un mensonge, une omission ou un leurre dans la première proposition mais qui est révélée sur la deuxième proposition. Le sujet persévérant alors première décision alors que la proposition directe de la deuxième situation n'aurai pas abouti. On remarque aussi que plus on laisse le sujet libre de son choix, plus la technique est efficace.


Un exemple parlant dans la vie quotidienne est celui de l'auto-stoppeuse qui se révèle ne pas être seule. Malgré la perte complète de ces espérances de voyage, le conducteur persévère à accepter le groupe alors qu'en connaissance de cause il ne se serait pas arrêté.



Deuxième partie - Manipulations non intentionnelles
(chapitres 3 à 6)
Quatre chapitres sur les théories statistiques de la manipulation


Les base de cette manipulation sont l'engagement et l'illusion de liberté. Mais il faut discerner l'engagement selon deux cas distincts :

  1. L'engagement dans un acte non problématique qui renforce les convictions du sujet. Particulièrement si celles ci vont dans le sens de ce que l'on désire obtenir.
  2. L'engagement dans un acte problématique qui modifie ses convictions dans un sens de rationalisation.

Le pied-dans-la-porte


Pour obtenir une action particulière d'un sujet, action qui a une grande probabilité d'être refusée si elle était demandée directement, le pied-dans-la-porte propose de demander une action préparatrice peu coûteuse au sujet. Celui-ci ne doit pas avoir le sentiment d'entrer dans un mécanisme d'engagement et de persévération.


Une simple signature à une pétition peut amener, ensuite, le sujet à accepter de distribuer des tracts dans la rue.


La première action apparemment non engageante renforce les convictions du sujet (engagement dans un acte non problématique), qui se trouve ensuite plus disposé à un acte, dans le même sens, plus coûteux. On obtient encore de meilleurs résultats si l'on gratifie le sujet pour la première action ("brosser dans le sens du poil"). La gratification renforce les convictions du sujet et le prédispose à des actions plus coûteuses.


Dans le pied-dans-la-porte implicite (échantillons de produits, ...), les expériences statistiques montrent que le touché dans l'acte préparatoire donne de très bons résultats sans que l'on puisse, actuellement, fournir d'explication satisfaisante. Le libre choix tel que le libre service (opposé à une distribution quasi forcée) donne aussi de bons résultats.


L'engagement dans la privation du tabac


Ce chapitre décrit une expérience de manipulation comportementale réalisée par les auteurs, sur des fumeurs "importants" (au moins quinze cigarettes par jour). Elle consiste à amener, librement, les fumeurs à se priver de cigarette durant une durée relativement importante.


Les auteurs ont sélectionné des étudiants correspondants aux critères et leur ont demandés de participer à une expérience sur le comportement des fumeurs où ils doivent se priver durant 18 heures (rémunérée 30 francs). Dans la situation de contrôle ( demande directe) seuls 12% ont acceptés (verbale) et 5% sont allés au bout de l'expérience (comportementale).


Pour augmenter le succès, les auteurs ont essayés trois actes préparatoires de pied-dans-la-porte qui se sont révélés d'efficacité inégale. Un questionnaire (25% verbale ,10% comportemental), une courte privation (50% verbale, 44% comportementale) et un entretien sans privation (50% verbale, 12% comportementale). L'expérience a ensuite été recommencée avec une technique d'amorçage (85% verbale, 65% comportementale), avec plusieurs échelons de cette technique (91% verbale, 70 comportementale) et enfin une situation d'amorçage avec fait accompli (95% verbale, 90% comportementale).


L'expérience a étée ensuite poursuivie sur les personnes étant allées jusqu'au bout, en profitant de l'effet d'engrenage. L'expérience suivante portait sur trois jours de privation (rémunérée 150 francs). Des résultats très différents ont étés obtenus selon que celle-ci a étée proposée avant ou après la première expérience (92% avant contre 40% après, pour une situation de contrôle de 35%). 73% des sujets se sont effectivement arrêtés de fumer durant trois jours puis 40% durant sept jours.


La porte-au-nez


Cette technique repose sur une stratégie inverse du pied-dans-la-porte. Elle propose de précéder la demande finale (le but réel) par une demande qui a de fortes chances d'être refusée parce qu'exagérée, le manipulateur se "retranche" alors sur sa demande réelle que le sujet concédera plus facilement. Cette technique n'est pas encore complètement comprise et certains avis divergent.


On constate que cette technique perd rapidement de son efficacité si on laisse le temps passer entre la première demande et la deuxième; ainsi que si ce n'est pas la même personne qui les formule, contrairement au pied-dans-la-porte (sous certaines conditions); elle n'en est pas moins efficace dans la pratique.



Troisième partie - Exemples d'usages au quotidien
(chapitres 7 et 8)
Deux chapitres sur les applications réelles de ces théories


La manipulation au quotidien : amis et marchands


La technique de la porte-au-nez n'est pas, ou mal, utilisée dans la vie quotidienne alors que les expériences montrent qu'elle fonctionne parfaitement.


L'amorçage, plus naturel est par contre limité par la légalité ou la morale et prend des noms tel que publicité mensongère ou abus de confiance. Mais reste très usuel (souvent inconsciemment) dans le milieu familial.


C'est le pied-dans-la-porte qui remporte tous les suffrages d'usage aussi bien au niveau commercial que dans le milieu familial où il suit souvent l'amorçage.


La manipulation au quotidien : chefs et pédagogues


Nous pourrions penser que le pouvoir dispense de l'usage de la manipulation, mais l'usage manifeste du pouvoir ne cadre pas avec l'idéal démocratique de la société. De plus, un sentiment de libre choix du citoyen renforce sa libre soumission. Mais le type de manipulation dépend de l'architecture de l'organisation visée.


Il existe des animateurs qui vendent, aux chefs d'entreprises, leurs méthodes de présentation et de manipulation pour faciliter les démarches «coûteuses» auprès de leurs employés. Ils se présentent parfois comme médiateurs et manipulent plus ou moins consciemment les événements.


Il existe un domaine particulièrement malléable aux manipulations, c'est l'éducation des enfants. Les parents se battent sur les philosophies à adopter dans l'éducation de leurs enfants. La psychologie sociale ne peut valider leur choix, car elles utilisent toutes, à la base, des techniques de manipulations vues précédemment.



ANALYSE et COMMENTAIRES


Forme et fond :


Ce livre a été conçu pour apporter, à un large public, une information pertinente sur les techniques de manipulations. Il montre que, contrairement à une idée largement reperdue, la manipulation n'est pas seulement un don de persuasion ou de bagou. Des comportements d'apparence insignifiants et «raisonnablement» distincts, nous poussent à agir de façon prévisible. On remarque qu'autant dans l'architecture du livre que dans le discours, la manipulation n'est pas clairement dissociée de l'auto-manipulation ainsi que la manipulation consciente de celle inconsciente.


L'écriture est particulièrement adaptée aux novices qui peuvent suivre le discours théorique grâce à un style simple et de nombreux exemples pratique. Mais l'évolution du niveau permet d'aborder rapidement des connaissances d'intérêt plus complexe.


Les auteurs utilisent un langage neutre sur l'usage de la manipulation. Ils précisent pour cela que si le livre fournit des outils aux manipulateurs, qui vraisemblablement les connaissent déjà, il fournit aux victimes potentielles les moyens de s'en défendre.


Pour quels lecteurs :


Les auteurs précisent dès l'introduction que ce livre se destine à un large public de lecteurs qui désirent s'informer sur les techniques de manipulations. Ils précisent que même si le spécialiste en psychologie sociale connait une grande partie des travaux énoncés, celui-ci pourra trouver quelques nouvelles informations tirées de leurs recherches. Les nombreuses références permettent aussi aux personnes intéressées, d'approfondir les études abordées. Je le considère en cela comme un très bon livre vulgarisateur, d'initiation et de référence.


L'introduction définit trois catégories de lecteur, non pas par leur niveau dans le domaine de psychologie sociale mais selon les motivations.


Première catégorie : ceux qui désirent acquérir des techniques de manipulations, car le seul moyen efficace, en dehors du pouvoir réel, d'obtenir ce que l'on désire des gens. Alors, ce livre leur donnerons les bases à des manipulations simples qui ont prouvé, statistiquement, leur efficacité.


Deuxième catégorie : ceux, plus humanistes, qui refusent d'admettre la manipulation et veulent s'en protéger. Alors, ce livre est le meilleur moyen de bien connaître et de mieux percevoir son ennemi. Repérer la manipulation étant généralement suffisant pour la contrer.


Troisième catégorie : enfin ceux qui sont indifférants aux deux autres arguments mais qui désirent mieux comprendre le comportement des gens dans la société et les raisons de ceux-ci.


Usage :


La construction du livre (par la volonté des auteurs) le destine particulièrement à l'initiation en psychologie sociale. Mais selon les auteurs, sans atteindre des sommets de perfection, certains points intéresseront aussi les spécialistes. Je pense donc que les niveaux intermédiaires y trouveront aussi leur compte.


Les nombreuses références aux travaux (français et étranger) dans le domaine en font sûrement un bon manuel de référence pour trouver les documents d'approfondissement.


Critiques :


J'ai apprécié le style simple de l'ouvrage, qui par son approfondissement très graduel permet de ne pas se sentir dépassé par les explications. Les nombreux exemples sont aussi particulièrement bien construis et aident réellement la compréhension du texte.


J'ai toutefois quelques petites réserves (petites par rapport à la qualité) :



SYNTHESE


Jean-léon Beauvois et Robert-Vincent Joule proposent dans cet ouvrage, une initiation aux techniques de manipulations comportementales. Destiné à un large public, il utilise un style simple avec de nombreux exemples et un niveau très progressif.


Pour bien permettre de comprendre les techniques de manipulations, les auteurs commencent par décrire les comportements inconscients dont nous sommes tous victimes à différentes échelles. Ces comportements, statistiquement démontrés, ne sont par contre, pas tous bien expliqués par les chercheurs.


Ces comportements sont alors les outils qui permettent de monter les techniques manipulatoires. Elles proposent, généralement, de placer les victimes dans une situation que l'on sait propice à les amener inconsciemment aux comportements désirés.


Ces techniques sont faciles à adapter à toutes les situations et demande, souvent, peu de moyens; correctement dosées elles permettent d'augmenter, extraordinairement, les probabilités mais sans pour autant en assurer le résultat.


Les auteurs, délibérément neutres, fournissent, avec l'analyse des comportements manipulatoires, les moyens de les détecter et de s'en défendre. C'est donc au lecteur de décider, selon sa morale, l'usage qu'il fera de l'ouvrage.


Mad Mask
3615 RTEL bal "MAD MASK"
ou "madmask@rtel.fr"



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