Simon était sans doute le plus heureux des hommes. Et on l'aurait été à moins ! Cela faisait tout juste un mois que Simon et sa petite famille s'étaient installés dans leur nouvelle résidence. Une superbe villa, en pleine campagne au nord de Dayton, perdue au milieu de chênes et de saules. Certes, ils n'étaient pas vraiment seuls car leur maison jouxtait une grande propriété sur laquelle s'étalait une superbe demeure du début du siècle, prolongée par une gigantesque piscine dont le grand bassin venait s'accouder au jardin de Simon. Les propriétaires -certainement issus du gratin londonien- occupaient les lieux uniquement pendant l'été. Du moins c'est ce qu'avait affirmé le vendeur, lorsque Simon avait signé l'acte de propriété.
Simon était un jeune homme de talent. A trente-cinq ans, il avait
déjà réussi à peindre -et surtout à vendre- suffisamment de
toiles pour se frayer un chemin dans l'univers des artistes
exposés dans le monde entier. Son nom commençait à s'afficher sur
les lèvres des plus fameux experts. Signe d'une gloire naissante.
En juillet dernier, il avait fait ce qu'il avait pris l'habitude
d'appeler "la vente de sa vie". Un client japonais lui avait
glissé un chèque de cent mille livres contre une petite toile que
Simon s'était amusé à peindre lors de ses dernières vacances au
bord de la mer. Depuis cette date, le prix de ses oeuvres était
monté en flèche et bizarrement les clients se les arrachaient. Le
marché n'avait jamais été aussi bon.
Du coup, il avait décidé de changer totalement de mode de vie.
Fini l'appartement sous les toits dans le centre de Londres. Fini
le bruit de la ville. Fini les fins de mois difficiles. Il
s'était marié à Emily et elle lui avait donné un fils qu'ils
avaient prénommé Joseph pour honorer la mémoire de Turner que
Simon considérait comme son maître.
Et depuis le mois d'avril, les Cooper étaient devenus de
véritables campagnards. Emily avait même commencé un jardin à
l'arrière de la maison. Comme elle s'était émerveillée de voir
que le persil pouvait pousser autre part que dans les bacs des
supermarchés, elle s'était décidée à s'inscrire à des cours de
jardinage par correspondance. Le facteur lui apportait vingt
fiches par mois et Simon se dit que cela suffisait amplement car
Emily avait déjà transformé une partie du terrain en véritable
champ de bataille. Le genre d'endroit où se serait rué un
troupeau de taupes géantes !
Joseph, lui, commençait à hurler depuis que la première dent
avait mis un peu de blanc sur ses gencives rosacées. Il se
traînait quelquefois dans l'herbe du jardin, déambulant à quatre
pattes et marquant ses genoux d'un vert chlorophylle du plus bel
effet qui tranchait avec les taches brunes envahissant
régulièrement sa couche au niveau des fesses. Une palette vivante
à lui tout seul ! Simon vivait entouré de sa petite troupe et le
retrait de la vie urbaine lui avait donné l'âme romantique qu'il
recherchait depuis toujours sans savoir que c'était ici, dans sa
nouvelle demeure, qu'il allait la trouver. Ses toiles devenaient
plus douces, comme masquées par un fin voile blanc inconsistant.
La nature y occupait une plus grande place. Mais l'ensemble
paraissait si harmonieux que la profondeur de l'espace n'avait
plus réellement de sens, ni de raison d'être. Simon faisait
partie intégrante du décor. Ce matin de juin, il se sentait bien.
Simon était un homme heureux. Mais cette ataraxie s'évapora dès
l'instant où il se mit en tête d'aller tailler la haie... Près de
la piscine.
Simon était parti plein d'entrain, armé de sa cisaille, et avait
décidé que la taille commencerait par le fond de la propriété. Il
avait poussé le détail en se chaussant de véritables sabots de
bois fabriqués à l'ancienne par un des derniers dinosaures du
village voisin. Il serrait entre les dents une petite pipe
anglaise, avec le fourreau coudé, qui lui envoyait une fumée à
l'odeur de pain d'épice en plein visage. Il s'était enfin
emmailloté dans une salopette en jeans délavé sous laquelle il
avait enfilé une chemise à carreaux dont il avait retroussé les
manches jusqu'aux coudes. Il ne lui manquait plus qu'un chapeau
de paille pour être parfaitement ridicule ! Mais il s'en fichait:
cela faisait tellement plaisir à Emily... Elle lui avait même
avoué que c'était dans cet accoutrement qu'elle le trouvait le
plus excitant ! Simon ne s'en privait donc pas. D'autant que le
ridicule n'avait jamais tué personne à sa connaissance.
Il arriva au bout du jardin, posa la cisaille, cracha dans une
paume et se frotta vigoureusement les mains comme tout bon
travailleur avant l'effort. Et il en avait besoin car ce n'était
pas le travail qui manquait. Cette haie n'avait pas été taillée
depuis au moins deux ans. En réalité, elle ressemblait plus à une
friche qu'à quelque chose de vraiment réfléchi. Les mûriers se
mêlaient ça et là à l'aubépine au milieu de quelques troènes.
Tout cela dans un désordre d'enchevêtrement. La haie n'était
pourtant pas très haute. En grimpant sur ses talons, si tant est
qu'il y en eut sur ses sabots, Simon apercevait sans trop de mal
la propriété de ses riches voisins. Plus exactement la piscine.
Elle était vraiment impressionnante. Aussi longue qu'une piscine
olympique, peut-être plus profonde. Quelques nénuphars avaient
envahi la surface mais elle paraissait pourtant propre. L'eau
semblait être filtrée en permanence. Comme il n'y avait pas de
système de recyclage, Simon se dit qu'elle devait être alimentée
par la source qui coulait en amont. Il se souvint qu'il avait
regretté que cette source ne coulât pas également chez lui,
lorsqu'il avait visité les lieux, avant l'achat.
Le brassage devait se faire en profondeur car seule une légère
vibration grésillait à la surface, évitant ainsi les problèmes de
pourriture de l'eau stagnante. Quelques bulles, remontant du
fond, venaient crever par endroits. Etrangement, aucun animal ne
semblait vivre ici. Pas l'ombre d'un crapaud, triton ou autre
parasite aquatique.
Pour s'y baigner, il suffisait de drainer un peu la végétation
qui s'y était installée à l'aide d'un bon filet. Et le tour était
joué.
- J'espère que les voisins seront assez sympa pour nous laisser
nous y baigner, pensa Simon dans un sifflement d'admiration. Il
tourna la tête vers la maison puis revînt vers la piscine. Il vit
quelque chose bouger.
Simon tendit le cou, par-dessus la haie. Un chat ! Un petit
chaton qui se balade au bord de la piscine ! Ca alors !
C'était le premier que Simon apercevait dans les environs. Il n'y
avait pas pris garde avant. Mais il ne se souvenait pas d'en
avoir vu avant celui-ci.
- Minou... Minou...! fit Simon avec douceur.
Le matou leva la tête, un peu apeuré. Il vit Simon, puis
l'ignora. Peu après, le chaton s'avança vers l'eau et se mit à
boire.
- C'est dingue ! Pensa Simon. Puis en y réfléchissant, il se
souvint qu'il était à la campagne et que cela n'avait absolument
rien d'extraordinaire.
Il sentit une crampe au niveau des mollets et retomba à plat sur
ses pieds dans un souffle.
- Chouette baraque... Bon, allons-y !
Il ramassa la cisaille, l'ouvrit et la ferma plusieurs fois pour
dérouiller le mécanisme puis entama la taille de la haie. Cette
haie avait, à son avis, trois fonctions: celle de cacher un peu
la vue, celle de délimiter la frontière entre les deux propriétés
et celle de protéger du vent. Mais Simon pensa qu'elle avait
surtout la fonction de blesser quelqu'un avec ses ronces
lorsqu'il vit que ses doigts saignaient. Il ne s'aperçut des
entailles que lorsqu'il sentit que quelque chose de chaud lui
coulait sur ses mains. - Oh merde ! lança t-il en lâchant la
cisaille.
Il se suça les doigts pour récupérer ce qu'il pouvait et fit
demi-tour vers la maison. Arrivé vers la porte, il entendit un
miaulement de terreur, suivi d'un grand bruit d'eau.
" MEEEEOUUUWWWWW...".
Puis, plus rien.
- Le chat, pensa Simon... le chat est tombé dans l'eau... !
Il longea la haie en courant, essayant de trouver un endroit pour
accéder à la piscine. Là, il y a un petit passage entre les
ronces.. Vite ! Simon arriva au bord de l'eau. La surface était
animée par de grands mouvements ondulatoires comme si une
météorite était tombée dans la piscine. Un véritable mini raz-de-
marée. L'eau débordait de partout par vague.
- Nom de Dieu, qu'est-ce qu'il se passe ? fit Simon pris de
panique.
Il s'approcha lentement, car la peur le gagnait et vit une forme
noire de la taille d'une voiture s'en aller vers le fond.
Simon fut tétanisé. Il se passa la main sur le visage pour être
certain qu'il n'était pas en train de faire un horrible
cauchemar. Une goutte de sang roula sur sa main et tomba dans
l'eau. La forme s'arrêta net. Simon, pris de panique, hurla. Il
sauta la haie droit devant lui, s'arrachant peau et habits. Il ne
chercha pas un passage. Seule la fuite lui traversait l'esprit.
L'instinct de survie l'emporta sur la sagesse.
Il atterrit dans son jardin, de l'autre côté. Simon n'était plus
qu'une sorte de baudruche saignante, griffée des pieds à la tête,
couverte d'épines; la chemise en lambeaux. Une espèce de bête
traquée, haletante.
Il reprit rapidement son souffle et courut vers la maison. Emily
qui l'avait entendu hurler, se précipitait vers lui.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? lui lança t-elle affolée.
Simon vit que sa femme était décomposée. Il entendit les cris de
Joseph, dans la maison et se ressaisit pour éviter l'affolement
général. Après tout, il avait peut-être rêvé. Imaginé tout cela
dans un moment d'absence. C'était sûrement ça, un moment
d'absence. Un trop plein de joies, de changement... ça peut vous
rendre malade...
- Rien de grave... je suis tombé dans la haie, c'est tout. Emily
souffla. Un souffle de soulagement qui signifiait "quelle frousse
tu m'as fait, ne recommence jamais ça!"
Ils rentrèrent à la maison. Emily soigna Simon et lui retira
toutes les épines, une par une, avec une pince à épiler. Simon
grimaça de douleur. L'envie d'aller tailler la haie lui était
passée.
Quinze jours s'étaient écoulés. Simon ne trouvait plus le
sommeil, n'avait plus goût à rien. Emily le sentait et cela la
rendait triste. "Ce n'est plus le même depuis son accident",
pensait- elle. Et elle avait raison. Simon n'était plus le même.
Il avait peur.
Il n'était pas arrivé à se convaincre que ce qu'il avait vu, dans
la piscine, était le fruit de son imagination. Non... ce n'était
pas possible. Comment se ferait-il que l'eau ait débordé du
bassin ?
Et le cri de ce chat ? Une hallucination sonore ?
Mais Simon n'en parlait à personne de peur qu'on l'interne
immédiatement. "Je suis peut-être complètement fou" se disait-il
dans les plus bas instants de sa déprime.
Mais si c'était vrai... ? Qu'est-ce que cela pourrait bien être ?
Il retourna la question dans sa tête pendant de longs jours. Mais
il ne trouva aucune réponse.
Alors il décida d'un plan pour se convaincre qu'il avait rêvé. Ce
jeudi matin, Simon accompagna Emily au supermarché de Dayton. Ils
se séparèrent à l'entrée du magasin car il prétendit se rendre au
bricolage et huiles moteur. Il savait qu'Emily ne le suivrait pas
dans ces rayons. Puis, lorsqu'il la vit s'éloigner vers les
habits, il passa à l'action. Il courut jusqu'au libre-service de
la boucherie, choisit un gros morceau de boeuf avec l'os de deux
kilos - pour le pot au feu-, le paya et retourna le cacher sous
son siège dans la voiture. Peu après Simon rejoignit Emily dans
les rayons. Comme si de rien n'était.
Les Cooper firent leurs courses comme tous les autres couples.
Personne ne remarqua que Simon tremblait.
L'après-midi, Simon tenta une drôle d'expérience. Emily s'était
rendu à son cours de danse et Joseph dormait à poings fermés dans
son berceau, au premier étage. La voie était libre.
Dans un premier temps, il se tailla un trou dans la haie,
suffisamment large pour explorer la piscine à une distance
convenable. Puis il alla chercher le morceau de viande, encore
sanguinolent, et le déposa au bord de l'eau, vers un plongeoir.
Sans attendre, il se précipita derrière la haie et observa à
travers son trou.
Simon bavait. Il était au bord de la crise de nerf.
Il attendit ainsi guère plus de cinq minutes.
L'eau se mit à onduler et de grosses bulles vinrent bouillonner à
la surface.
- Putain de bordel de merde ! fit Simon. Il n'avait plus peur, il
était dans un autre monde. C'était pire !
Soudain une espèce de tentacule jaillit hors de l'eau, projetant
quelques nénuphars jusque dans le jardin de Simon.
Il n'en crut pas ses yeux. Un tentacule noire, géant, couvert de
piquants comme...oui comme des piquants de hérisson... ou plutôt
d'oursin venait de sortir de la piscine des voisins !
Il se tortillait dans l'air comme un crochet visqueux plein de
haine.
Il tâtonna quelques instants puis enroula le morceau de boeuf
dans ses piquants avant de l'emporter avec lui dans l'eau. Puis
il disparut comme il était venu.
Simon porta la main à son coeur et s'évanouit.
Simon reprit connaissance le lendemain vers six heures du soir.
- Ca va chéri ? demanda Emily.
Simon ouvrit les yeux pour découvrir qu'un attroupement s'était
formé autour de son lit. Plutôt gentil pensa t-il. Mais il ne
connaissait pas tous ces gens là.
Un homme s'avança pour prendre sa tension.
- Docteur Higgins ! Vous avez eu un petit malaise... C'est sans
gravité, rassurez-vous. Quinze jours de repos complet et vous
serez remis à neuf. Dix-neuf deux... c'est un peu fort. Je vais
vous donner quelque chose pour faire baisser ça.
Le toubib alla rédiger son ordonnance sur la table de nuit.
- Chérie, fit Emily. Je sais que ce n'est peut-être pas le moment,
mais je te présente Monsieur et Madame Dought...
- Enchanté, répondit Simon mais...
- Ce sont nos voisins, coupa Emily, ils sont arrivés ce matin pour
les vacances... Ils vont m'aider pendant que tu te reposeras...
Simon changea de couleur. Il ne put parler. Son coeur le pinça
trop fort.
Il haleta et s'agita dans le lit comme si on l'exorcisait.
- Des spasmes, fit le docteur. C'est classique chez les grands
anxieux. Ce n'est pas grave, allez. Bichonnez-le, ça passera
comme c'est venu.
Ils sortirent tous de la pièce à l'exception d'Emily.
- N'aies pas peur, fit-elle en caressant Simon... je suis là !
Simon reprenait confiance en lui. Voilà un mois qu'il n'était pas
sorti de sa chambre. Terrorisé par ce qu'il avait vu et dont il
n'avait parlé à personne. Mais maintenant il allait mieux. Il
était certain que son esprit avait déraillé pendant un moment.
Mais tout était rentré dans l'ordre.
D'ailleurs, cela faisait un mois que les Dought et leurs enfants
se baignaient chaque jour dans leur piscine et Simon, qui passait
le plus clair de son temps à les observer, n'avait rien remarqué
de particulier. Les Dought n'avaient pas servi de pitance à cette
forme tentaculaire que Simon croyait avoir vue traîner au fond de
l'eau. Il était rassuré.
La fatigue et les nerfs lui avaient joué un mauvais tour, voilà
tout.
Les jours qui suivirent furent prometteurs quant à son
rétablissement. Il commença à sortir pour respirer le bon air de
la campagne. Puis, il fit plus ample connaissance avec les
Dought. Des gens comme ils les aimaient. Simples et chaleureux -lui qui les avait
pris pour d'horribles bourgeois montrant leur fric sans les avoir rencontrés -.
Les vacances se passèrent ainsi entre amis, à coup de barbecues
et... de baignades, car Simon avait totalement repris confiance
en lui. Il avait mis du temps avant de mettre un pied dans la
piscine, mais la raison l'avait emporté sur ses craintes.
Personne n'avait été mangé depuis le début des vacances ! Comment
ai-je pu m'imaginer des choses pareilles ? se demanda Simon.
Son état s'était grandement amélioré. Il arrivait même à en rire.
Tout seul, la nuit dans son lit.
Il avait trouvé des solutions à tout: "le chat avait crié parce
qu'il était réellement tombé à l'eau. Mais, il avait filé
longtemps avant que j'arrive sur place pour lui porter secours.
La forme noire dans l'eau... c'est l'ombre des branches du saule,
à côté de la piscine.... La viande... La viande est tombée au
fond de la piscine parce que les remous provoqués par les
courants variables de la source l'ont déstabilisée... Et je n'ai
jamais vu ce putain de tentacule... et les nénuphars n'ont jamais
volé par-dessus la haie..."
Ha ! Il en riait maintenant qu'il était guéri. A pleines dents
qu'il pouvait croquer la vie. Un corps sain dans un esprit sain.
"Tous les jours, avec mon copain Dought, on pique une tête et on
se tape un p'tit cent mètres" affirmait-il fièrement à ses
parents qui téléphonaient pour prendre des nouvelles.
L'été s'était retiré pour laisser place à l'automne. Les feuilles
des arbres étaient tombées et Simon se mit à peindre le calme et
la nostalgie. Il pensait souvent à cette histoire de monstre
aquatique. Mais c'était son jardin secret. Sa propre folie. Il se
remémora les heures passées entre amis avec les Dought et pensa
aux prochaines vacances. Un an! se dit-il.
Il n'eut pas envie de continuer à peindre. Il enfila sa veste et
partit ramasser les feuilles mortes dans le jardin. En arrivant
dans le bas de la propriété, il jeta un oeil sur la piscine et
lui lança un petit sourire comme à une vieille amie.
Un oiseau passa au-dessus du bassin. Un merle, se dit Simon.
Un tentacule immense jaillit de l'eau et happa l'oiseau dans son
vol. Il retomba de son poids, entraînant l'animal dans les
profondeurs, noyé de grands borborygmes.
Simon crut qu'il allait perdre la raison à tout jamais.
Le tentacule était dix fois, cent fois plus gros qu'avant l'été.
Il occupait presque la totalité du bassin.
Simon courut à la maison. Il se servit dans l'armoire, prit son
fusil et des cartouches pour le sanglier.
- Qu'est-ce que tu fais ? hurla Emily
- Je vais me baigner ! répondit Simon dans un rire diabolique.
Elle essaya de le retenir mais il la repoussa et elle tomba à la
renverse.
Simon se précipita vers le bassin et hurla en direction de l'eau :
- Montre toi espèce de saloperie !
Il tira plusieurs coups de feu dans le bassin.
Emily arriva en pleurs.
- Arrête.. Mais arrête !criait-elle.
Simon plongea dans l'eau glacée comme attiré par un combat entre
lui-même et sa raison.
"Je l'aurai"
- Ce sont les derniers mots qu'il a prononcés, confia Emily au
commissaire Larry.
- Je vois, fit-il. Vous savez, avec la source en crue, il n'y a
plus guère d'espoir de le retrouver en vie. On va vider la
piscine et sonder tous les canaux, des fois qu'il ait pu se
glisser dans une poche d'air. Vous connaissez le propriétaire ?
- Oui, dit Emily. C'est Thomas Dought.
- Thomas Dought! fit Larry... Le biologiste ?
- C'est ça ! Je l'ai prévenu de l'accident... il sera là d'ici une
à deux heures.
Les pompiers vidèrent entièrement la piscine... ou presque.
Arrivé vers le fond, ils n'en crurent pas leurs yeux: la piscine
était remplie d'une espèce de tapis d'aiguilles... non, pas
d'aiguilles... de piquants.
Des piquants énormes, noirs et durs. En forme de cônes très
acérés. Il y en avait des kilos... partout.
- Nom de Dieu qu'est-ce que c'est ? fit Larry.
Cette question, il la posa à Thomas Dought. Mais celui-ci ne sut,
pas plus que lui, donner une explication à ce phénomène. On
commença à fouiller tous les boyaux qui donnaient à la source.
Mais Simon n'avait laissé aucune trace. Il s'était évanoui dans
la nature.
Larry pria Thomas Dought de rester sur place pendant l'enquête.
Il aurait certainement d'autres questions à lui poser.
Thomas Dought aimait la campagne et ne rechigna pas sur cette
contrainte. Il téléphona à sa femme pour la prévenir qu'il
resterait encore quelques jours ici.
Le soir venu, il alluma un feu de cheminée et se servit un grand
cognac. Il réfléchit pendant d'interminables minutes et vers
trois heures du matin, monta jusqu'au premier étage.
Dans le fond du couloir, il poussa la porte de son laboratoire de
campagne, alla à son bureau, ouvrit un tiroir et sortit un
dossier qu'il avait intitulé: "Expérience d'un virus mutagène sur
les échinodermes".
Thomas Dought redescendit s'installer devant la cheminée. Il
feuilleta son dossier jusqu'au matin en corrigeant certains
détails qui lui avaient échappé. La concentration en vacances est
souvent altérée. Il eut un frisson.
Thomas Dought referma le dossier et le lança dans la cheminée.
Le feu se raviva.
Il faut bien se chauffer.
L'automne est si froid à Dayton !
Frédéric Belin. Merci pour vos
appréciations. Roman "On achève bien les cadavres" disponible sur
Internet.