Des habitants dans la piscine


Par Frédéric Belin


Simon était sans doute le plus heureux des hommes. Et on l'aurait été à moins ! Cela faisait tout juste un mois que Simon et sa petite famille s'étaient installés dans leur nouvelle résidence. Une superbe villa, en pleine campagne au nord de Dayton, perdue au milieu de chênes et de saules. Certes, ils n'étaient pas vraiment seuls car leur maison jouxtait une grande propriété sur laquelle s'étalait une superbe demeure du début du siècle, prolongée par une gigantesque piscine dont le grand bassin venait s'accouder au jardin de Simon. Les propriétaires -certainement issus du gratin londonien- occupaient les lieux uniquement pendant l'été. Du moins c'est ce qu'avait affirmé le vendeur, lorsque Simon avait signé l'acte de propriété.


Simon était un jeune homme de talent. A trente-cinq ans, il avait déjà réussi à peindre -et surtout à vendre- suffisamment de toiles pour se frayer un chemin dans l'univers des artistes exposés dans le monde entier. Son nom commençait à s'afficher sur les lèvres des plus fameux experts. Signe d'une gloire naissante. En juillet dernier, il avait fait ce qu'il avait pris l'habitude d'appeler "la vente de sa vie". Un client japonais lui avait glissé un chèque de cent mille livres contre une petite toile que Simon s'était amusé à peindre lors de ses dernières vacances au bord de la mer. Depuis cette date, le prix de ses oeuvres était monté en flèche et bizarrement les clients se les arrachaient. Le marché n'avait jamais été aussi bon.


Du coup, il avait décidé de changer totalement de mode de vie. Fini l'appartement sous les toits dans le centre de Londres. Fini le bruit de la ville. Fini les fins de mois difficiles. Il s'était marié à Emily et elle lui avait donné un fils qu'ils avaient prénommé Joseph pour honorer la mémoire de Turner que Simon considérait comme son maître.


Et depuis le mois d'avril, les Cooper étaient devenus de véritables campagnards. Emily avait même commencé un jardin à l'arrière de la maison. Comme elle s'était émerveillée de voir que le persil pouvait pousser autre part que dans les bacs des supermarchés, elle s'était décidée à s'inscrire à des cours de jardinage par correspondance. Le facteur lui apportait vingt fiches par mois et Simon se dit que cela suffisait amplement car Emily avait déjà transformé une partie du terrain en véritable champ de bataille. Le genre d'endroit où se serait rué un troupeau de taupes géantes !


Joseph, lui, commençait à hurler depuis que la première dent avait mis un peu de blanc sur ses gencives rosacées. Il se traînait quelquefois dans l'herbe du jardin, déambulant à quatre pattes et marquant ses genoux d'un vert chlorophylle du plus bel effet qui tranchait avec les taches brunes envahissant régulièrement sa couche au niveau des fesses. Une palette vivante à lui tout seul ! Simon vivait entouré de sa petite troupe et le retrait de la vie urbaine lui avait donné l'âme romantique qu'il recherchait depuis toujours sans savoir que c'était ici, dans sa nouvelle demeure, qu'il allait la trouver. Ses toiles devenaient plus douces, comme masquées par un fin voile blanc inconsistant. La nature y occupait une plus grande place. Mais l'ensemble paraissait si harmonieux que la profondeur de l'espace n'avait plus réellement de sens, ni de raison d'être. Simon faisait partie intégrante du décor. Ce matin de juin, il se sentait bien. Simon était un homme heureux. Mais cette ataraxie s'évapora dès l'instant où il se mit en tête d'aller tailler la haie... Près de la piscine.




Simon était parti plein d'entrain, armé de sa cisaille, et avait décidé que la taille commencerait par le fond de la propriété. Il avait poussé le détail en se chaussant de véritables sabots de bois fabriqués à l'ancienne par un des derniers dinosaures du village voisin. Il serrait entre les dents une petite pipe anglaise, avec le fourreau coudé, qui lui envoyait une fumée à l'odeur de pain d'épice en plein visage. Il s'était enfin emmailloté dans une salopette en jeans délavé sous laquelle il avait enfilé une chemise à carreaux dont il avait retroussé les manches jusqu'aux coudes. Il ne lui manquait plus qu'un chapeau de paille pour être parfaitement ridicule ! Mais il s'en fichait: cela faisait tellement plaisir à Emily... Elle lui avait même avoué que c'était dans cet accoutrement qu'elle le trouvait le plus excitant ! Simon ne s'en privait donc pas. D'autant que le ridicule n'avait jamais tué personne à sa connaissance.


Il arriva au bout du jardin, posa la cisaille, cracha dans une paume et se frotta vigoureusement les mains comme tout bon travailleur avant l'effort. Et il en avait besoin car ce n'était pas le travail qui manquait. Cette haie n'avait pas été taillée depuis au moins deux ans. En réalité, elle ressemblait plus à une friche qu'à quelque chose de vraiment réfléchi. Les mûriers se mêlaient ça et là à l'aubépine au milieu de quelques troènes. Tout cela dans un désordre d'enchevêtrement. La haie n'était pourtant pas très haute. En grimpant sur ses talons, si tant est qu'il y en eut sur ses sabots, Simon apercevait sans trop de mal la propriété de ses riches voisins. Plus exactement la piscine.


Elle était vraiment impressionnante. Aussi longue qu'une piscine olympique, peut-être plus profonde. Quelques nénuphars avaient envahi la surface mais elle paraissait pourtant propre. L'eau semblait être filtrée en permanence. Comme il n'y avait pas de système de recyclage, Simon se dit qu'elle devait être alimentée par la source qui coulait en amont. Il se souvint qu'il avait regretté que cette source ne coulât pas également chez lui, lorsqu'il avait visité les lieux, avant l'achat.


Le brassage devait se faire en profondeur car seule une légère vibration grésillait à la surface, évitant ainsi les problèmes de pourriture de l'eau stagnante. Quelques bulles, remontant du fond, venaient crever par endroits. Etrangement, aucun animal ne semblait vivre ici. Pas l'ombre d'un crapaud, triton ou autre parasite aquatique.


Pour s'y baigner, il suffisait de drainer un peu la végétation qui s'y était installée à l'aide d'un bon filet. Et le tour était joué.


- J'espère que les voisins seront assez sympa pour nous laisser nous y baigner, pensa Simon dans un sifflement d'admiration. Il tourna la tête vers la maison puis revînt vers la piscine. Il vit quelque chose bouger.


Simon tendit le cou, par-dessus la haie. Un chat ! Un petit chaton qui se balade au bord de la piscine ! Ca alors !


C'était le premier que Simon apercevait dans les environs. Il n'y avait pas pris garde avant. Mais il ne se souvenait pas d'en avoir vu avant celui-ci.


- Minou... Minou...! fit Simon avec douceur.


Le matou leva la tête, un peu apeuré. Il vit Simon, puis l'ignora. Peu après, le chaton s'avança vers l'eau et se mit à boire.


- C'est dingue ! Pensa Simon. Puis en y réfléchissant, il se souvint qu'il était à la campagne et que cela n'avait absolument rien d'extraordinaire.


Il sentit une crampe au niveau des mollets et retomba à plat sur ses pieds dans un souffle.


- Chouette baraque... Bon, allons-y !


Il ramassa la cisaille, l'ouvrit et la ferma plusieurs fois pour dérouiller le mécanisme puis entama la taille de la haie. Cette haie avait, à son avis, trois fonctions: celle de cacher un peu la vue, celle de délimiter la frontière entre les deux propriétés et celle de protéger du vent. Mais Simon pensa qu'elle avait surtout la fonction de blesser quelqu'un avec ses ronces lorsqu'il vit que ses doigts saignaient. Il ne s'aperçut des entailles que lorsqu'il sentit que quelque chose de chaud lui coulait sur ses mains. - Oh merde ! lança t-il en lâchant la cisaille.


Il se suça les doigts pour récupérer ce qu'il pouvait et fit demi-tour vers la maison. Arrivé vers la porte, il entendit un miaulement de terreur, suivi d'un grand bruit d'eau. " MEEEEOUUUWWWWW...". Puis, plus rien.


- Le chat, pensa Simon... le chat est tombé dans l'eau... !


Il longea la haie en courant, essayant de trouver un endroit pour accéder à la piscine. Là, il y a un petit passage entre les ronces.. Vite ! Simon arriva au bord de l'eau. La surface était animée par de grands mouvements ondulatoires comme si une météorite était tombée dans la piscine. Un véritable mini raz-de- marée. L'eau débordait de partout par vague.


- Nom de Dieu, qu'est-ce qu'il se passe ? fit Simon pris de panique.


Il s'approcha lentement, car la peur le gagnait et vit une forme noire de la taille d'une voiture s'en aller vers le fond.


Simon fut tétanisé. Il se passa la main sur le visage pour être certain qu'il n'était pas en train de faire un horrible cauchemar. Une goutte de sang roula sur sa main et tomba dans l'eau. La forme s'arrêta net. Simon, pris de panique, hurla. Il sauta la haie droit devant lui, s'arrachant peau et habits. Il ne chercha pas un passage. Seule la fuite lui traversait l'esprit. L'instinct de survie l'emporta sur la sagesse.


Il atterrit dans son jardin, de l'autre côté. Simon n'était plus qu'une sorte de baudruche saignante, griffée des pieds à la tête, couverte d'épines; la chemise en lambeaux. Une espèce de bête traquée, haletante.


Il reprit rapidement son souffle et courut vers la maison. Emily qui l'avait entendu hurler, se précipitait vers lui.


- Qu'est-ce qu'il se passe ? lui lança t-elle affolée.


Simon vit que sa femme était décomposée. Il entendit les cris de Joseph, dans la maison et se ressaisit pour éviter l'affolement général. Après tout, il avait peut-être rêvé. Imaginé tout cela dans un moment d'absence. C'était sûrement ça, un moment d'absence. Un trop plein de joies, de changement... ça peut vous rendre malade...


- Rien de grave... je suis tombé dans la haie, c'est tout. Emily souffla. Un souffle de soulagement qui signifiait "quelle frousse tu m'as fait, ne recommence jamais ça!"


Ils rentrèrent à la maison. Emily soigna Simon et lui retira toutes les épines, une par une, avec une pince à épiler. Simon grimaça de douleur. L'envie d'aller tailler la haie lui était passée.




Quinze jours s'étaient écoulés. Simon ne trouvait plus le sommeil, n'avait plus goût à rien. Emily le sentait et cela la rendait triste. "Ce n'est plus le même depuis son accident", pensait- elle. Et elle avait raison. Simon n'était plus le même. Il avait peur. Il n'était pas arrivé à se convaincre que ce qu'il avait vu, dans la piscine, était le fruit de son imagination. Non... ce n'était pas possible. Comment se ferait-il que l'eau ait débordé du bassin ?


Et le cri de ce chat ? Une hallucination sonore ?


Mais Simon n'en parlait à personne de peur qu'on l'interne immédiatement. "Je suis peut-être complètement fou" se disait-il dans les plus bas instants de sa déprime.


Mais si c'était vrai... ? Qu'est-ce que cela pourrait bien être ? Il retourna la question dans sa tête pendant de longs jours. Mais il ne trouva aucune réponse.


Alors il décida d'un plan pour se convaincre qu'il avait rêvé. Ce jeudi matin, Simon accompagna Emily au supermarché de Dayton. Ils se séparèrent à l'entrée du magasin car il prétendit se rendre au bricolage et huiles moteur. Il savait qu'Emily ne le suivrait pas dans ces rayons. Puis, lorsqu'il la vit s'éloigner vers les habits, il passa à l'action. Il courut jusqu'au libre-service de la boucherie, choisit un gros morceau de boeuf avec l'os de deux kilos - pour le pot au feu-, le paya et retourna le cacher sous son siège dans la voiture. Peu après Simon rejoignit Emily dans les rayons. Comme si de rien n'était.


Les Cooper firent leurs courses comme tous les autres couples. Personne ne remarqua que Simon tremblait.




L'après-midi, Simon tenta une drôle d'expérience. Emily s'était rendu à son cours de danse et Joseph dormait à poings fermés dans son berceau, au premier étage. La voie était libre. Dans un premier temps, il se tailla un trou dans la haie, suffisamment large pour explorer la piscine à une distance convenable. Puis il alla chercher le morceau de viande, encore sanguinolent, et le déposa au bord de l'eau, vers un plongeoir. Sans attendre, il se précipita derrière la haie et observa à travers son trou. Simon bavait. Il était au bord de la crise de nerf. Il attendit ainsi guère plus de cinq minutes. L'eau se mit à onduler et de grosses bulles vinrent bouillonner à la surface. - Putain de bordel de merde ! fit Simon. Il n'avait plus peur, il était dans un autre monde. C'était pire !


Soudain une espèce de tentacule jaillit hors de l'eau, projetant quelques nénuphars jusque dans le jardin de Simon. Il n'en crut pas ses yeux. Un tentacule noire, géant, couvert de piquants comme...oui comme des piquants de hérisson... ou plutôt d'oursin venait de sortir de la piscine des voisins ! Il se tortillait dans l'air comme un crochet visqueux plein de haine. Il tâtonna quelques instants puis enroula le morceau de boeuf dans ses piquants avant de l'emporter avec lui dans l'eau. Puis il disparut comme il était venu.


Simon porta la main à son coeur et s'évanouit.




Simon reprit connaissance le lendemain vers six heures du soir. - Ca va chéri ? demanda Emily. Simon ouvrit les yeux pour découvrir qu'un attroupement s'était formé autour de son lit. Plutôt gentil pensa t-il. Mais il ne connaissait pas tous ces gens là. Un homme s'avança pour prendre sa tension. - Docteur Higgins ! Vous avez eu un petit malaise... C'est sans gravité, rassurez-vous. Quinze jours de repos complet et vous serez remis à neuf. Dix-neuf deux... c'est un peu fort. Je vais vous donner quelque chose pour faire baisser ça. Le toubib alla rédiger son ordonnance sur la table de nuit. - Chérie, fit Emily. Je sais que ce n'est peut-être pas le moment, mais je te présente Monsieur et Madame Dought... - Enchanté, répondit Simon mais... - Ce sont nos voisins, coupa Emily, ils sont arrivés ce matin pour les vacances... Ils vont m'aider pendant que tu te reposeras... Simon changea de couleur. Il ne put parler. Son coeur le pinça trop fort. Il haleta et s'agita dans le lit comme si on l'exorcisait. - Des spasmes, fit le docteur. C'est classique chez les grands anxieux. Ce n'est pas grave, allez. Bichonnez-le, ça passera comme c'est venu. Ils sortirent tous de la pièce à l'exception d'Emily. - N'aies pas peur, fit-elle en caressant Simon... je suis là !




Simon reprenait confiance en lui. Voilà un mois qu'il n'était pas sorti de sa chambre. Terrorisé par ce qu'il avait vu et dont il n'avait parlé à personne. Mais maintenant il allait mieux. Il était certain que son esprit avait déraillé pendant un moment. Mais tout était rentré dans l'ordre. D'ailleurs, cela faisait un mois que les Dought et leurs enfants se baignaient chaque jour dans leur piscine et Simon, qui passait le plus clair de son temps à les observer, n'avait rien remarqué de particulier. Les Dought n'avaient pas servi de pitance à cette forme tentaculaire que Simon croyait avoir vue traîner au fond de l'eau. Il était rassuré. La fatigue et les nerfs lui avaient joué un mauvais tour, voilà tout. Les jours qui suivirent furent prometteurs quant à son rétablissement. Il commença à sortir pour respirer le bon air de la campagne. Puis, il fit plus ample connaissance avec les Dought. Des gens comme ils les aimaient. Simples et chaleureux -lui qui les avait pris pour d'horribles bourgeois montrant leur fric sans les avoir rencontrés -.


Les vacances se passèrent ainsi entre amis, à coup de barbecues et... de baignades, car Simon avait totalement repris confiance en lui. Il avait mis du temps avant de mettre un pied dans la piscine, mais la raison l'avait emporté sur ses craintes. Personne n'avait été mangé depuis le début des vacances ! Comment ai-je pu m'imaginer des choses pareilles ? se demanda Simon. Son état s'était grandement amélioré. Il arrivait même à en rire. Tout seul, la nuit dans son lit. Il avait trouvé des solutions à tout: "le chat avait crié parce qu'il était réellement tombé à l'eau. Mais, il avait filé longtemps avant que j'arrive sur place pour lui porter secours. La forme noire dans l'eau... c'est l'ombre des branches du saule, à côté de la piscine.... La viande... La viande est tombée au fond de la piscine parce que les remous provoqués par les courants variables de la source l'ont déstabilisée... Et je n'ai jamais vu ce putain de tentacule... et les nénuphars n'ont jamais volé par-dessus la haie..." Ha ! Il en riait maintenant qu'il était guéri. A pleines dents qu'il pouvait croquer la vie. Un corps sain dans un esprit sain. "Tous les jours, avec mon copain Dought, on pique une tête et on se tape un p'tit cent mètres" affirmait-il fièrement à ses parents qui téléphonaient pour prendre des nouvelles.




L'été s'était retiré pour laisser place à l'automne. Les feuilles des arbres étaient tombées et Simon se mit à peindre le calme et la nostalgie. Il pensait souvent à cette histoire de monstre aquatique. Mais c'était son jardin secret. Sa propre folie. Il se remémora les heures passées entre amis avec les Dought et pensa aux prochaines vacances. Un an! se dit-il. Il n'eut pas envie de continuer à peindre. Il enfila sa veste et partit ramasser les feuilles mortes dans le jardin. En arrivant dans le bas de la propriété, il jeta un oeil sur la piscine et lui lança un petit sourire comme à une vieille amie. Un oiseau passa au-dessus du bassin. Un merle, se dit Simon.


Un tentacule immense jaillit de l'eau et happa l'oiseau dans son vol. Il retomba de son poids, entraînant l'animal dans les profondeurs, noyé de grands borborygmes. Simon crut qu'il allait perdre la raison à tout jamais. Le tentacule était dix fois, cent fois plus gros qu'avant l'été. Il occupait presque la totalité du bassin. Simon courut à la maison. Il se servit dans l'armoire, prit son fusil et des cartouches pour le sanglier.


- Qu'est-ce que tu fais ? hurla Emily


- Je vais me baigner ! répondit Simon dans un rire diabolique. Elle essaya de le retenir mais il la repoussa et elle tomba à la renverse.


Simon se précipita vers le bassin et hurla en direction de l'eau :

- Montre toi espèce de saloperie !


Il tira plusieurs coups de feu dans le bassin.
Emily arriva en pleurs. - Arrête.. Mais arrête !criait-elle.


Simon plongea dans l'eau glacée comme attiré par un combat entre lui-même et sa raison.




"Je l'aurai"


- Ce sont les derniers mots qu'il a prononcés, confia Emily au commissaire Larry.


- Je vois, fit-il. Vous savez, avec la source en crue, il n'y a plus guère d'espoir de le retrouver en vie. On va vider la piscine et sonder tous les canaux, des fois qu'il ait pu se glisser dans une poche d'air. Vous connaissez le propriétaire ?


- Oui, dit Emily. C'est Thomas Dought.


- Thomas Dought! fit Larry... Le biologiste ?


- C'est ça ! Je l'ai prévenu de l'accident... il sera là d'ici une à deux heures.


Les pompiers vidèrent entièrement la piscine... ou presque. Arrivé vers le fond, ils n'en crurent pas leurs yeux: la piscine était remplie d'une espèce de tapis d'aiguilles... non, pas d'aiguilles... de piquants. Des piquants énormes, noirs et durs. En forme de cônes très acérés. Il y en avait des kilos... partout.


- Nom de Dieu qu'est-ce que c'est ? fit Larry.


Cette question, il la posa à Thomas Dought. Mais celui-ci ne sut, pas plus que lui, donner une explication à ce phénomène. On commença à fouiller tous les boyaux qui donnaient à la source. Mais Simon n'avait laissé aucune trace. Il s'était évanoui dans la nature. Larry pria Thomas Dought de rester sur place pendant l'enquête. Il aurait certainement d'autres questions à lui poser.


Thomas Dought aimait la campagne et ne rechigna pas sur cette contrainte. Il téléphona à sa femme pour la prévenir qu'il resterait encore quelques jours ici.
Le soir venu, il alluma un feu de cheminée et se servit un grand cognac. Il réfléchit pendant d'interminables minutes et vers trois heures du matin, monta jusqu'au premier étage.
Dans le fond du couloir, il poussa la porte de son laboratoire de campagne, alla à son bureau, ouvrit un tiroir et sortit un dossier qu'il avait intitulé: "Expérience d'un virus mutagène sur les échinodermes".
Thomas Dought redescendit s'installer devant la cheminée. Il feuilleta son dossier jusqu'au matin en corrigeant certains détails qui lui avaient échappé. La concentration en vacances est souvent altérée. Il eut un frisson.
Thomas Dought referma le dossier et le lança dans la cheminée.
Le feu se raviva.
Il faut bien se chauffer.
L'automne est si froid à Dayton !




Frédéric Belin. Merci pour vos appréciations. Roman "On achève bien les cadavres" disponible sur Internet.



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