La Magie




     Dans  cet article, il n'est pas question de montrer l'effica-
cité de la magie ou de dénoncer une quelconque supercherie.  Je ne
ne  vais pas vous apprendre non plus comment faire sortir un lapin
d'un  chapeau haut-de-forme.  Il s'agit de constater les faits ob-
jectivement  (sans  les  juger), de rendre compte du phénomène tel
qu'il existe (oui, la magie existe vraiment). J'ai repris une par-
tie  de  mon  cours d'anthropologie où l'on a étudié la magie dans
les sociétés primitives. J'espère que ça vous plaira !
     Ah,  une  mise en garde : les sociétés appelées "primitives",
"archaïques"  ou  "sauvages"  ne  sont pas inférieures à la notre,
ne sombrons pas dans le piège de l'ethnocentrisme (c'est-à-dire le
fait de penser que notre civilisation est la meilleure, ce qui est
totalement faux et à l'origine du racisme).

     NB: essayez de lire cet article avec de la trance ou un autre
type de musique psychédélique... Ambiance assurée !


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     Pour comprendre la magie, prenons un exemple : dans la marine
à  voile, il y a une pratique universelle : lorsque le vent tombe,
l'un  des marins se lève et siffle (c'est sensé imiter le bruit du
vent).  Ce  comportement est inévitable et à double tranchant : ça
déclenche  le  vent mais il y a aussi un inconvénient (on pourrait
dire : "qui siffle le vent récolte la tempête").  Il  s'agit d'une
pratique magique car on y trouve 4 caractéristiques essentielles:

1. il  s'agit d'une pratique rituelle, il faut avoir certains com-
   portements.
2. c'est  un rite par similitude (ou "rite sympathique", mais l'on
   verra  ça  en  détail  plus loin), en l'occurrence il s'agit de
   produire un son identique au souffle du vent.
3. c'est un comportement socialement reconnu.
4. derrière le bénéfice escompté, il se peut qu'il y ait un incon-
   vénient. La pratique magique a un caractère interdit.

     Avant  tout,  il  y a un problème de limite dû à la proximité
entre magie et religion. Selon Marcel Mauss (le neveu d'Emile Dur-
kheim, fondateur de la sociologie en France), dans la religion, on
fait  des  offrandes et le retour est hypothétique, alors que dans
la  magie, on a toujours des résultats.  La magie se pratique dis-
crètement, à la différence de la religion.

     Dans  les  sociétés dites "primitives", le magicien tend vers
une  marginalité,  une  spécification.  Il est quelqu'un ayant des
qualités spéciales, qu'elles soient physiques ou mentales. Des ca-
ractères  physiques  prédisposent à devenir magicien : les bossus,
les aveugles, les ventriloques, les femmes, les enfants, les méde-
cins, les barbiers, les forgerons, les bergers, les acteurs et les
fossoyeurs. Les magiciens sont des marginaux.  La condition du ma-
gicien  est  vécue  comme anormale.  Il faut qu'il y ait un accord
pour  désigner des individus comme tels.  On peut devenir magicien
par révélation,  par  initiation, voire par hérédité.  Le magicien
est  hors  du  commun car il est comme ça et se voit comme ça.  Il
faut  bien souligner le caractère anormal de la magie. Le magicien
doit se préparer à l'acte (il jeûne, il porte des bijoux spéciaux,
etc.).  Selon Arnold Van Gennep, le rite installe des cassures en-
tre trois phases : la phase préliminaire, la phase liminaire et la
phase post-liminaire.

     Comment  les  magiciens  vont-ils  agir,  comment pensent-ils
qu'une action magique peut être efficace ? La magie est la théorie
du  changement et de l'action en vue du changement.  Le changement
est presque toujours un déplacement d'éléments, de forces qui sont
déjà  dans le monde.  Le but de la magie est de produire des muta-
tions microscopiques.  Comment mettre en mouvement quelque chose ?
Il  existe  un  certain type de parenté entre les choses pour agir
sur les choses impalpables. Ces objets s'inscrivent dans des chaî-
nes  de  parenté, on obtiendra des résultats concernant les choses
impalpables. Il existe plusieurs "lois de sympathie":

1. La loi de la contiguïté: la partie équivaut à la chose dans son
   ensemble,  quand  on agit sur une partie de l'individu, on agit
   sur tout l'individu.  Il y a une contiguïté avec ce que l'indi-
   vidu a utilisé (vêtements, accessoires, etc.).  Cette loi s'ap-
   plique par exemple après le repas : quand on agit sur les os du
   poulet,  on  agit  sur la chair du poulet (que l'on a mangée et
   qui  est dans notre ventre).  On peut déplacer les choses parce
   qu'il y a cette contiguïté. On pourrait rapprocher ce phénomène
   avec  ce  qui se passe en France à propos de "l'os de voeux" des
   poulets  (bien  que ça relève plus de la superstition que de la
   magie): lorsque l'on mange du poulet, certains prennent l'os de
   voeux et se mettent à deux pour le casser, et celui qui reste a-
   vec  le  plus grand morceau de l'os voit son souhait s'exhaucer
   (vous ne connaissez pas ça?). Dans ce cas, on agit sur la chair
   du poulet qui est dans notre corps.
2. La loi de la similarité : le semblable produit le semblable. On
   peut  aussi  utiliser des objets allégoriques (qui évoquent une
   chose). Par exemple: un noeud de liane pour l'amour.
3. La  loi  du  contraire : le contraire agit sur le contraire. Ou
   plutôt :  le semblable  chasse le semblable et remplace le con-
   traire.

     Ce  qui  rend  les  choses manipulables, c'est l'existence de
propriétés. Le magicien attribue telle propriété à tel objet ou a-
nimal  ou plante.  Par exemple, lorsque l'on observe un mouche qui
vole de manière circulaire au-dessus du ventre d'une femme encein-
te,  alors ça sera une fille.  On ne sait pas pourquoi et on ne se
pose  pas cette question.  Les magiciens sont les connaisseurs des
propriétés des choses. Chaque élément est déterminé à faire circu-
ler quelque chose. Mais qu'est-ce qui se déplace ?

     L'homme  qui  assiste  à un rituel n'est plus l'homme de tous
les jours.  La croyance en la magie est volontaire, la pénétration
dans  le  rituel ensorcelle le magicien lui-même, il entre dans un
état  quasi-hallucinatoire.  Le magicien met des propriétés en ac-
tion, il oriente la force magique, c'est elle qui agit.  Qu'est-ce
que cette force magique ?

     Il  y  a  dans le monde une force qui traverse toute chose et
qui  met en contact les choses et les êtres : c'est la force magi-
que, appelée aussi MANA. Selon Marcel Mauss, le mana est à la fois
une  action,  une  qualité et un état, un objet peut être du mana,
une personne ou une chose peut avoir du mana.  C'est une puissance
à la fois immanente et transcendante (elle nous dépasse et se fixe
sur  nous  à la fois).  Le mana que l'on a n'est pas personnel, il
est  volatile.  Il  y a toujours un écart entre l'objet porteur de
mana et le mana, entre le geste où le mana se manipule et le mana,
et entre le manipulateur de mana et le mana lui-même.  Cette puis-
sance  magique,  le mana, est à la fois naturelle et surnaturelle,
hétérogène  et  homogène.  On constate que le mana met en place la
réprésentation d'une sphère spéciale où circule l'essence pure, le
magicien doit pénétrer dans ce monde et c'est dans ce monde que se
passent  les  rites de la magie.  Le mana légitime la magie. Toute
l'efficacité  supposée  du rite magique réside dans son efficacité
de mana.  Que le magicien réussisse ou non ne remet en cause ni le
mana, ni le magicien.

     Comment  fonctionne la magie ? Un rituel magique développe au
plus haut point l'attente commune d'un résultat. Il y a une commu-
nion réelle dans le collectif.  Les résultats de la magie se trou-
vent dans cette croyance commune. Le fond de toute croyance est le
social  lui-même,  on y croit car tout le monde y croit, le social
est  déterminant.  La  puissance du mana n'est rien d'autre que la
puissance du collectif, du social. La représentation que la socié-
té se fait de la puissance magique est une manière pour elle de se
représenter  le  fait social (c'est-à-dire la puissance du collec-
tif).  Donc,  nous pouvons dire que lorsque qu'une société croit à
la  magie,  elle croit à la puissance du social.  Par  exemple, en
Nouvelle-Guinée,  des hommes sains mourraient d'agonie en quelques
jours  car la société le voulait (ils étaient rejetés et cette so-
ciété était très peu individualiste). Un autre exemple: en Austra-
lie, un homme avait mangé la viande d'un serpent tabou. Quinze ans
plus  tard, il tombe malade.  On appelle un medecine-man (sorte de
guérisseur)  qui  demande au malade s'il n'a pas ingurgité quelque
chose de mauvais.  Le malade se souvient du serpent tabou qu'il a-
vait  mangé  de nombreuses années auparavant.  Le medecine-man lui
dit  que  sa  maladie est dûe au serpent qu'il a mangé et qu'il va
mourrir le lendemain.  Un autre medecine-man intervient et va "ex-
traire" le serpent du corps de l'homme, qui a guéri par la suite.

     Nous  pouvons  en  déduire l'idée de totalité, comme l'a fait
Marcel  Mauss.  Selon lui, l'homme total est quelqu'un pour qui la
totalité de sa conscience et la totalité de sa conduite sont insé-
parables.  Autrement  dit,  il n'existe aucune différence entre sa
personnalité et sa communauté. L'homme primitif est total, l'homme
moderne est distancié.  La distance mentale signifie que l'on peut
mettre en cause sa croyance. Ca n'existe pas dans les sociétés di-
tes primitives.  Le niveau de l'inconscient est celui où se nouent
les relations avec la société.


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     Voilà, en fait, vous avez eu un cours d'anthropologie de deux
heures !  Le  capitaine et son équipage espèrent que vous avez ap-
précié le voyage et vous souhaitent une bonne continuation dans la
lecture de ce Toxic Mag...


                                              The Beast // TyphOOn



Ecrit sur fond sonore de musiques sountracks:
  "Magic" (bien sûr !), "Groove", "Kefnet",
  "Digital Orgasm", "Cosmos", "Acidophiluz",
  "Astral Crusade", "Tranze Seven", etc.



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