Un monde sans âme

 

Par White Ninja / ADR
fabrice.louvet@ac-amiens.fr

 

 

Derrière ce titre très optimiste, je tiens ici à faire le point sur l'expérience
que m'a conféré le fait d'être atariste, au titre d'expérience vécue.

 

 

REFLEXION 1 : LE MONDE DES PUISSANTS

Tout a commencé il y a un peu plus de 10 ans. Je vous épargne les détails : un pote m'invite chez lui à voir son Amiga. C'était chouette. Un autre m'invite à voir son STF : c'était génial. Il m'a bien fallu un an ou deux pour convaincre mes parents d'en acheter un. Et en 10 ans, je suis toujours resté fidèle à la marque. Quand j'ai vu autour de moi se déclencher la folie des PC, quand j'ai vu tous ces gens prôner si fort la supériorité de l'Amiga ou de l'Atari tourner le dos à leurs convictions pour ces puzzles qui sonnent creux et leurs jeux en 3D, j'ai bien cru à une folie provisoire. Entre temps, j'avais acheté un STE, et bientôt un Falcon. Avec un Atari 32 bits et son système si beau et enfin multitâche, un disque dur, une compatibilité de périphériques externes PC et MAC, etc., il était clair pour moi que le succès contre les PC était en marche. C'était sans compter les ratés de la Corp et les profits de Gates qui investit et popularise sur cette plateforme de brun ce qui a été inventé sur d'autres machines : internet (NeXT), java, système multitâche orienté fenêtres (Apple), les concepts multimédias (Atari, Apple, Commodore Amiga)...

Les développeurs suivent le mouvement, tournant le dos aux machines qui leur ont permis de prospérer pendant des années. Car le monde des puissants est le monde de l'argent. Une société seulement a développé des jeux destinés aussi aux Mac et PC sur Falcon. Et encore, grâce au partenariat d'un puissant revendeur d'Atari, qui s'est lui même sabordé en se tournant vers le marché porteur des PC et en opérant des malversations financières. L'éditeur et le magazine en question ont disparu.

Alors NON, dans ce monde ce ne sont pas les meilleurs qui gagnent mais les plus puissants. Notre système et nos machines étaient meilleures, car beaucoup plus fiable et bien moins vite obsolètes. La bataille est perdue depuis longtemps, faisant de nous des rebelles oubliés.

 

REFLEXION 2 : LE MONDE DU JETABLE

Nous qui gardons nos machines depuis des années et continuons à travailler ou à nous distraire sur nos machines, quelle réaction peut-on avoir en voyant ces gens qui changent leur matériel informatique tous les 6 mois ? L'obsolescence est une angoisse. Ne pas pouvoir faire tourner correctement le dernier jeu de Pognon Software, passer du Pentium au Pentium III parce que la pub dit que c'est mieux pour Internet... on se débarasse des 'vieux' ordinateurs comme on se débarasse d'une vieille chemise trouée. Et tout est fait pour ça, par cette même politique qui vise à rendre les matériels obsolètes DELIBEREMENT.

Car nous sommes dans une logique du JETABLE omniprésente ! On se débarasse des vieilles choses sans vergogne mais ça va plus loin, sans quoi il n'y aurait pas de quoi s'inquiéter. La femme se lasse de son mari ou vice-versa : on divorce, d'ailleurs grâce au Pacs, la démarche est simplifiée et plus rapide. Plus vite ensembles et plus vite séparés. Un enfant non désiré : on le jette d'un coup d'IVG. Les élus ne parviennent pas à résoudre la crise avec ses petits bras, alors on en change, à tel point que les hommes politiques s'inquiètent : que faire avec le si peu de temps que leur laissent les électeurs ? Dans le monde du tuning, il n'est pas rare qu'un tuner, qui a passé des années et un fric fou dans une voiture la revende... pour recommencer avec une autre ! On rêve de tout changer; de tout mettre à la poubelle, de tout effacer pour ne jamais assumer nos actes et nos devoirs envers la société des hommes. La nôtre. Ne s'attacher à rien, tel est le sombre prix à payer pour l'efficacité, pour ne pas se fixer dans le temps ni se laisser le temps de se poser de questions que pourtant nous nous poserons à la fin : "Qu'ai-je fait de ma vie ?". La réponse serait-elle : "je l'ai JETEE par la FENETRE" ?

 

REFLEXION 3 : LE MONDE DES HYPOCRITES, DES MENTEURS ET DES TRAITRES

Certains d'entre nous avaient tout misé sur l'univers Atari. J'étais de ceux-là. Mon rêve était d'intégrer un groupe de développement de jeux Atari. En fait, la Corp a tout sabordé, car la toute puissance d'Atari reposait sur un investissement en publicité et en développement minimum. "We will help you", dirent les Tramiel aux développeurs Falcon et Jaguar du monde entier. L'aide en question était-elle d'attendre que les choses se passent ? Les jeux annoncés ne sont jamais sortis, ou avec suffisemment de retard et d'insuffisance technique (comme Steel Talons) pour les rendre insignifiants. Seules réussites complètes : Alien VS Predator et Vid Grid. Les kits développeurs et documentations, jamais complets, jamais à jour et toujours insuffisants et chers, promesses de pu..., dont certains peuvent encore témoigner. Et il y a peu encore des sabordages honteux, des escroqueries, des ententes illicites dans ce qu'il reste du milieu commercial atariste. La triste histoire du PANIER DE CRABES, toujours et encore. Ces gens qui étaient sensés défendre ce qu'il nous restait de notre univers informatique ne pensaient qu'à leur pomme et à leurs états d'âme. Une guerre sans merci pour se disputer le morceau de steak qui restait (NOUS !), tout en dénonçant, quel comble, le monopole du PC et de Gates. Oui, le point fort de nos machines, c'était nous ataristes, passionnés et solidaires. Combien de fois l'a-t-on lu dans nos journaux préférés.. mais mon c... ! On subissait ces journaleux autant que Gates, les yeux pleins de m..., sans même se douter qu'eux-même rêvaient de monopole. Pas d'Atari mais du LEUR. IBM, dénoncé pour l'esprit "Big Brother", véhiculait en fin de compte bien plus de tolérance que tous ces charlots. Pour avoir construit la Jaguar, pour construire des machines à base de Cyrix en plus des inévitables Untel, d'avoir participé au PowerPC, etc.

Et notre tendre et aimée Corp... Cette glorieuse société qui a dominé en micro-informatique personnelle et semi-professionnelle en Europe ne pouvait disparaître qu'avec panache... Penses-tu ! On pouvait tout du moins être convaincu que les Tramiel et toute la clique investiraient ou fusionneraient avec une grande société d'informatique alternative, puisqu'ils se refusaient en dernier lieu à sortir de nouvelles machines, privilégiant la Jaguar - ce qui était déjà une trahison envers la clientelle "habituée" et fidèle. Que nenni ! Ultime injure aux passionnés qui ont permis à ces hommes de s'enrichir et de s'offrir une collection de voitures luxueuses et une vie de pacha, on disparaît en fusionnant dans une boîte de conception de disque durs, sans un MERCI ni ADIEU. Pire encore : les brevets des machines, du ST au Falcon, et de la Lynx à la Jaguar, et de concepts légendaires et carrément emblématiques du jeu vidéo comme le hardscroll ont été vendus pour une bouchée de pain à Hasbro, célèbre société éditant... le MONOPOLY ! Il en va de même pour notre système d'exploitation, le TOS : il leur appartient. Encore une insulte envers la mémoire d'Atari, qui n'a RIEN su VENDRE à une société d'informatique ou de hardware en général. On a parlé du monde du jetable : nous y sommes ici.

 

REFLEXION 4 : L'HISTOIRE, PERPETUEL RECOMMENCEMENT

Centek, qui nous a offert le fameux Falcon "tout à 32" promis par Atari (100% 32 bits, et 32 Mhz) en mieux avec la CT2, se voit à son tour honteusement sabordée. L'équipe software a en effet retiré ses billes, forçant l'équipe hard à abandonner le Phénix, dont le prototype était terminé. Le Milan saura-t-il sauver le monde atariste ? Mais de quoi donc ? CAR LE MONDE ATARISTE SE TUE LUI-MEME. Quand j'entends des trucs style "moi pas besoin de Falcon, ST suffisant pour moi, grompf", je me dis que personne ne peut sauver ce qui ne veut pas l'être. Lorsqu'on se suffit de faire des graphs 320*200 16 couleurs, ou de faire du soundtrack 4 pistes au mieux, alors personne ne peut développer une machine déjà poussée à son plein potentiel. Ce qui a précipité le ST et le STE, c'est qu'ils n'ont pas su évoluer asez vite... vers l'évolutivité ! Les Méga ST trop souvent ignorés, des disques durs chers, problèmes qui se retrouve sur Falcon avec les lecteur CD SCSI trop coûteux et difficiles à trouver. Il faudra attendre un STE phase 2 TOS 1.62 pour avoir une machine fiable qu'on peut monter en mémoire sans soudure !

En laissant aux autres machines le monopole de l'internet, des aplets Java, du CGI, de la programmation simplifiée 'visual', des progiciels, des GBD... nous ne nous laisserions plus rien à défendre. En refusant d'évoluer, nous nous résignons à disparaître. Bien sûr nous graphons et ziquons toujours. Mais pour diffuser nos modules en MP3, ou mettre nos graphs en valeur sur le net avec du Javascript... nous avons besoin d'autres ordinateurs. Déjà grâce aux Atari 32 bits, sans aller jusque là, on peut faire des choses très intéressantes. J'ai créé une page ayant pour sujet les ensembles Fractals, qui sera recensée comme ressource pédagogique sur le serveur internet académique d'Amiens, avec entre autres des fractales calculées au copro (zoom 1e10), et des animations Quicktime grâce à Mplayer. Si nous renonçons à aller dans ce sens, notre idéal informatique aura disparu avec notre génération, alors que le PC était là avant et qu'il se perpétue à la nouvelle génération.

 

REFLEXION 5 : COURAGE ET PERSEVERANCE

Heureusement, certains ont réussi à organiser une "résistance", à s'engager, et à manifester leur vision de l'informatique. Non pas en tant que concepteurs, mais humblement en tant qu'utilisateurs. Nous n'avons pas le pouvoir de faire changer les choses (ne nous voilons pas la face), mais au moins nous pouvons rester fidèle à nous-mêmes, à nos convictions informatiques, et ce de bien différentes manières. Faire tourner des softs sous PacifiST en est une. Car le simple fait de réussir à se rappeler que l'informatique, ça a été autre chose, et que demain ce sera différent nous donne un avantage. Car quand nous entendons des blagues célèbres de boutonneux genre "ton micro c'est quoi, un Atari ?" et rigoler parce que pour eux, l'Atari c'est un truc nul à chier qu'ils n'ont jamais vu tourner, on peut rire nous aussi, mais de leur ignorance.

Autant pour moi que pour prouver aux autres que notre système est valable, j'ai énormément investi dans mon Falcon. Avec une imprimante Stylus Color 400 720 DPI qualité photo, un moniteur SVGA, un disque dur et un CD-ROM SCSI, puis un Zip 100 SCSI, une Centurbo, une CENTRAM 14, puis une Centurbo II avec 16 Mo d'EDO, et un scanner SCSI 30 bits, des enceintes Yam' avec woofer, et un disque dur UDMA Quantum, un modem 56K... je ne connais personne qui ait une telle config sur Atari. En comptant le prix du neuf, j'en ai eu en tout pour 15000F. Jusqu'à l'année dernière. Pourquoi jusqu'à l'année dernière ? Car c'est la date à laquelle Centek a arrêté de développer le hard sur Falcon, dont le maximum a été tiré. Oui, j'ai bien l'impression que mon Falcon s'est ouvert les tripes pour me donner le maximum. Et par rapport à un simple PC bas de gamme d'aujourd'hui, il ne fait rien d'exceptionnel, si ce n'est grâce à son DSP : la retouche de son temps réel... et un système qui se charge bien plus vite mais qui pourtant, ne me permet toujours pas de me connecter à Internet. Alors au secours, si quelqu'un peut m'aider à me connecter avec mon Falcon sur Internet en PPP avec MultiTOS ou sous TOS, qu'il me contacte ! Et à quand Java sur Atari ?

On peut donc ici rendre hommage à tout ceux qui ont poussé nos Atari de l'avant, en leur permettant de se standardiser au niveau des formats de lecture et d'écriture et d'augmenter le potentiel de réalisation atariste : Guillaume Tello, Didier Méquignon, Alexander Clauss, Black Scorpion, Titan, Centek, Compo, Emmanuel Baranger, Emmanuel Jacquard (le Cher-ouère ;-), et j'en oublie plein ! Même les participations plus modestes à cet effort, comme Texto! de notre ami The Beast, sont à saluer !